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Comment innove Facom, le roi du tournevis high-tech
Racheté par l’américain StanleyBlack & Decker, Facom fabrique depuis près de cent ans de l’outillage haut de gamme. Clef de son succès : la forte réactivité des équipes de R&D, à l’écoute des clients. Retrouvez aussi le "spécial innovation" d'Enjeux Les Echos, Septembre 2014.
Jean-Marc a 37 ans. Il habite Auxerre avec sa femme et leurs deux enfants. Electricien de profession, il est au chômage depuis trois ans. Il vit de petits boulots et de maigres économies. Toute dépense est mûrement pesée en famille. Sauf celles qui ont trait à sa véritable passion : l’outillage Facom, dont il ne rate aucun nouveau produit. Et la société française en sort un ou deux par an… Jean-Marc collectionne les catalogues de la marque quasi centenaire. Il range les millésimes de cet ouvrage de référence pour tout bricoleur et tout garagiste qui se respecte, comme s’il s’agissait de livres rares. Il n’est pas le seul. Quand il sort tous les quatre ans à la rentrée, le catalogue Facom – quelque 8 000 références sur près de 1 100 pages tirées à 500 000 exemplaires – déclenche un véritable engouement parmi les nombreux fans de la marque. La relation entre l’entreprise et ses clients relève presque de l’irrationnel. « Facom, c’est la Rolls de l’outillage à main », résume Didier, un habitué du stand de la marque au BHV parisien. « Faire vivre le mythe, ce n’est pas facile. Les clients sont très exigeants. Les attentes sont énormes », reconnaît Yves Antier, le président européen de la branche « réparation industrielle et automobile » du géant américain Stanley-Black & Decker, dont le français Facom fait partie depuis 2006. « Le marché de l’outillage à main est mûr. Il faut sans cesse innover sur les produits tout en maintenant la qualité qui a fait la renommée de la marque », ajoute-t-il.
80 camions itinérants
Vincent Ricco, ingénieur, ancien de chez Renault, dirige depuis un an une équipe de 200 ingénieurs et autres experts en industrialisation, tous dédiés à l’innovation. Une vingtaine d’entre eux est basée au siège de Morangis, en banlieue parisienne, les autres travaillent dans les usines de la société. « Dans une entreprise comme Facom, le secret de la réussite en matière d’innovation tient à la relation avec les clients », avance le patron du développement des nouveaux produits (la R&D, les projets et l’innovation). Ses collaborateurs visitent chaque année entre 300 et 400 garages ou entreprises clientes. Sans compter les retours glanés auprès des commerciaux qui rencontrent régulièrement leurs clients professionnels avec 80 camions itinérants de démonstration bourrés d’outils.
Objectif : collecter et centraliser le maximum d’informations du terrain pour orienter la recherche. « Un outil Facom est garanti cent ans. Et nous savons que les utilisateurs ne l’emploient pas forcément en conformité avec sa fonction. Souvent, un tournevis ne sert pas uniquement à visser et dévisser mais est aussi employé comme un coin. Même dans ce cas, il ne doit pas casser », enchaîne Thomas Vallette, le bras droit de Vincent Ricco. Dans le laboratoire de Morangis, tous les outils nouveaux sont soumis à des contraintes qui vont bien au-delà de celles qu’ils rencontreront réellement. Ici, point de machines futuristes. « Nous nous sommes organisés pour disposer d’un labo de prototypage rapide à proximité immédiate du bureau d’études. Les investissements en recherche et développement chez Facom sont presque entièrement en capital humain. C’est un choix », dit Vincent Ricco. On s’en doutait, les ingénieurs et techniciens sont eux aussi des fans de mécanique et de l’outillage maison.
Outils traçables
Le partage de cette passion avec les usagers professionnels est une source intarissable d’innovation. Les clients industriels sont en contact étroit avec l’équipe de Vincent Ricco. C’est ainsi que, grâce à une demande spécifique d’Airbus, Facom a développé, le premier au monde, une gamme complète d’outillage à main « traçable ». Il y a moins d’un an, l’avionneur avait demandé une série spéciale d’outils facilement repérables lors d’une réparation au sol. Pas seulement pour en éviter la perte : Airbus voulait surtout éviter des accidents aux conséquences dramatiques. Un simple tournevis oublié dans un réacteur ou abandonné sur une piste d’atterrissage peut provoquer un drame.
Les têtes chercheuses de Facom se sont aussitôt mises à carburer. Première solution, la plus évidente, gainer les outils d’un plastique résistant et réfléchissant. Pas si simple à réaliser, car le jaune fluo se salit vite et nombre de plastiques cassent quand ils sont soumis à des efforts importants. Pourtant, la solution est vite trouvée avec un polymère qui a toutes les qualités requises. Encore fallait-il pouvoir glisser les gaines sur les outils, notamment les clés, de sorte qu’elles adhèrent parfaitement au corps métallique. Cette fois, l’ énigme est résolue par Ludovic Holler, un jeune ingénieur spécialisé dans l’industrialisation, qui travaille au sein de la petite unité de production de séries spéciales du centre de distribution de Damparis, dans le Jura. « Après plusieurs tests avec mes collègues, j’ai fini par mettre la main sur un gel industriel qui rendait l’opération aisée », raconte-t-il. L’information remonte vite à Morangis. Le procédé est validé, puis appliqué dans tous les sites de production concernés.
Une puce dans les tournevis
Loin d’étouffer les initiatives innovantes locales informelles, l’équipe de R&D les stimule. « C’est au cœur de la culture Facom. Le rachat par les Américains n’a rien changé à cela. Ils ont bien compris que c’était notre force », se réjouit Yves Antier. Toute la R&D est restée en France ; Stanley Black & Decker a apporté, entre autres, ses compétences en matière de radio-identification (RFID). La coopération dans ce domaine entre CribMaster, une filiale du géant américain, et Facom a permis de finaliser l’offre pour Airbus et, au passage, de créer la ligne de produits dans l’outillage à main la plus innovante de la décennie. Désormais, chaque tournevis, chaque clé, chaque pince Facom vendus à Airbus et aux autres clients demandeurs de ce type de produits sont dotés d’une puce intégrée qui accumule les données sur leur utilisation, leur emplacement et les utilisateurs autorisés. En cas de perte, l’étiquette électronique permet de les retrouver plus facilement. Les chercheurs de Facom ont adapté cette technologie RFID à leurs propres produits et peaufiné le processus de fabrication industrielle de ces petites séries à forte valeur ajoutée.
Satisfaire les « Facomards »
Mais le high-tech n’est pas le seul domaine d’intervention de l’équipe de Vincent Ricco. Elle s’intéresse également au côté « sensuel » des produits. « Les passionnés d’outils Facom sont très sensibles à la forme et à l’ergonomie de produits qui les accompagnent souvent toute une vie », explique Thomas Vallette. Radu Neamtu, un ingénieur de l’équipe de R&D, le sait bien. Lui, c’est l’inventeur du Nano, un nouveau petit coffret d’outils qui est vite devenu un best-seller de la société. Point de départ : comment démonter et remonter 80% d’une moto de course avec le minimum d’outils rangés dans un coffret résistant et de la plus petite taille possible ? L’engouement pour la mécanique et les courses automobiles et de motos est bien répandu chez les « Facomards ». Radu Neamtu sait que la solution passe par le coffret Facom. Il doit être compact, léger et « portable ». Après dix-huit longs mois d’essais, lui et ses collaborateurs ont trouvé la solution. Les 38 outils et douilles rentrent enfin dans un joli boîtier cossu, de la taille d’un smartphone mais trois fois plus épais. Astuce supplémentaire, les douilles ne tombent pas en cas de renversement accidentel du boîtier. « Nous sommes allés jusqu’à travailler le son du fermoir. Il fallait que le bruit à l’ouverture et à la fermeture inspire confiance et soit perçu comme un gage de qualité, à la manière des portières des belles berlines allemandes », se souvient, amusé, Vincent Ricco. « L’innovation, c’est aussi des solutions malignes », tranche-t-il. Malignes et peu dépensières, souligne-t-on chez Facom.
La réactivité plutôt que les aides
Dans l’entreprise, la recherche de l’efficacité en innovation au moindre coût s’est soldée par un arbitrage en faveur de l’autofinancement de la R&D. Un choix qui peut paraître paradoxal. « Si je devais constituer des dossiers de financement public européen de nos projets, je devrais y consacrer jusqu’à 30% du temps de nos équipes. Ce n’est pas tenable », assène Vincent Ricco. « De plus, c’est long, beaucoup trop long. Pour obtenir un financement de Bruxelles (plafonné à 40% du coût du projet), il faut neuf mois en moyenne. Or notre philosophie est d’ aller rapidement au prototype, de déposer les brevets dans un délai maximal de deux à quatre mois, risques de copie et de contrefaçon obligent, pour passer à la production douze à vingt mois après le début du projet », développe-t-il. Facom doit surmonter un obstacle supplémentaire pour les financements publics de recherche et développement : en tant que filiale d’un groupe extra-européen, l’accès à ces aides est réduit. « Absurde, si l’on garde à l’esprit que toute notre R&D est en Europe et est dirigée par des Français », répète-t-on au centre de Morangis. « La seule aide à laquelle on fait appel est le crédit impôt recherche, dont la mécanique fonctionne assez bien », conclut, réaliste, Vincent Ricco.
Une entreprise qui s’investit dans l’innovation
3% consacrés à la R&D : Selon les analystes, Facom affiche un chiffre d’affaires France de 150 millions d’euros en 2013 et un chiffre d’affaires Monde situé entre 350 à 400 millions d’euros. L’entreprise consacre entre 4 et 5 millions d’euros à la R&D, soit jusqu’à 3% de son chiffre d’affaires France.
20% des effectifs mobilisés : Plus de 1 000 personnes sont employées par la société dans le monde, dont 900 en France. Au total, 200 personnes se concentrent sur l’innovation. Une vingtaine d’ingénieurs et des spécialistes en technologie et industrialisation est répartie sur les différents sites de l’entreprise à travers le monde. Une trentaine d’experts en innovation, dont une quinzaine d’ingénieurs, est basée au siège de Facom à Morangis, dans l’Essonne.
Article issu d’Enjeux Les Echos édition de septembre 2014
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